Le Pen 2022 : comme des faux airs de Chirac 95

C’est donc elle ! 

Tous les commentateurs et les chefs de file des principaux mouvements politiques sont médusés sur les plateaux des chaînes de télévision. 

C’est Jordan Bardella, Président de son mouvement, le Rassemblement national (RN) qui lui a annoncé quelques minutes plus tôt son élection. Les résultats de 20 h ne sont qu’une confirmation ! 

En voyant son visage à l’écran, elle ne peut qu’afficher un large sourire tout en lâchant, “ce n’est pas vrai, quelle histoire !” Tous les sondages la donnaient perdante depuis des mois face au Président sortant et pourtant avec 50,4 %, elle sort victorieuse du scrutin dix ans après sa première tentative.  

Elle porte avec elle l’extrême droite pour la première fois à la tête du pays. 

Ces partisans réunis au siège du parti RN dans le 16e arrondissement de Paris n’en croient pas leurs yeux et exultent. La fille de Jean-Marie Le Pen a profité de la mobilisation des Françaises et des Français pour le second tour et de son excellent débat face à Emmanuel Macron en tout cas bien meilleur que celui “raté” de 2017. 

Elle parvient donc à remporter l’élection présidentielle après trois tentatives comme l’ont fait François Mitterrand et Jacques Chirac avant elle. Une victoire à l’élection suprême qui vient récompenser vingt ans de vie politique pour cette ex-avocate de 53 ans. Elle marque également l’Histoire de France en devenant la première femme élue Présidente de la République. 

Pour l’heure, ceci n’est qu’une fiction ! Mais à en croire la dynamique qui se dégage de ses derniers sondages, la victoire de la candidate RN pourrait devenir réalité au soir du 24 avril. 

C’est bien parce-que que je ne partage en aucune manière les idées de Madame Le Pen et que je ne parviens pas à oublier son héritage patronymique, que d’imaginer un tel scénario me rend particulièrement mal à l’aise. 

Il faut bien reconnaître en toute objectivité que sa campagne est jusqu’ici de bonne qualité et rappelle sur certains points la campagne victorieuse du candidat Chirac en 1995. Le candidat du RPR était donné largement battu par Edouard Balladur au début de l’élection mais il l’emportera finalement contre tous les pronostics. 

Quelles sont donc les similarités entre la campagne de Marine Le Pen de 2022 et celle de Jacques Chirac en 1995 ? Peut-elle se terminer de la même façon pour la candidate RN ?  

Une thématique de campagne qui fait écho à la fracture sociale de Chirac 95

Avec la candidature d’Eric Zemmour lui reprenant sa thématique de “l’immigration et de l’identité”, Marine Le Pen avait l’obligation de trouver un autre sujet porteur dans l’opinion. 

Consciente que son électorat reste avant tout les classes populaires, elle a choisi de mener campagne sur la préoccupation numéro un des Français à savoir le pouvoir d’achat. 

Est-ce du “nez politique” ou simplement l’expérience des campagnes présidentielles, en tout cas Marine Le Pen a fait le meilleur choix. Elle a en plus eu l’intelligence de rester constante sur cette thématique même quand les thématiques Zemmour montaient en flèche dans les sondages. 

Cette thématique est en effet encore plus d’actualité avec les répercussions de la guerre en Ukraine qui ont fait flamber les prix de l’énergie et des céréales. Marine Le Pen se présente ainsi comme la championne du pouvoir d’achat. Un choix de thématique de campagne qui fait écho à la “fracture sociale” choisie par Jacques Chirac en 1995. Les commentateurs d’expliquer que “Chirac prend à revers cette droite libérale balladurienne pour se créer un espace au centre tout en braconnant sur les terres d’une gauche fatiguée après 14 ans de Mitterrandisme.” 

Tout comme Chirac en 1995, Marine Le Pen n’a eu d’autre choix que de se réinventer, se repenser. Avec face à elle un candidat plus radical qui séduit son électorat de la droite extrême, Marine Le Pen a dû se créer un espace entre la droite et la gauche braconnant sur les vieilles terres de “l’UMP-PS” en devenant la championne du pouvoir d’achat tout en délaissant pas ses vieilles thématiques que sont la lutte contre l’immigration et l’insécurité. 

Finalement, la candidature Zemmour est une bonne chose pour la candidate du RN alors que je croyais comme beaucoup en début d’année que la candidature du polémiste rendait impossible la présence de Marine Le Pen au second tour.

Rappelons qu’Eric Zemmour est monté jusqu’à 18 % dans les sondages et qu’un second tour Macron-Zemmour devenait chaque jour plus probable. Une situation qui rappelait celle de Jacques Chirac en 1995. Lancé depuis plus de deux mois dans une nouvelle campagne présidentielle, le maire de Paris était donné largement battu par le favori des sondages, Edouard Balladur. Tous les commentateurs pensaient que Jacques Chirac allait alors abandonner sa troisième tentative pour conquérir l’Elysée. Mais Jacques Chirac a poursuivi sa campagne jusqu’au bout. 

Tout comme le Chirac de 95, Marine Le Pen s’est accrochée et elle a pleinement profité des tergiversations sinon des reculades du candidat Reconquête sur le dossier ukrainien pour grapiller son retard. 

Comme l’affirme Arnaud Mercier, chercheur en communication politique à Panthéon-Assas, “Eric Zemmour constitue le meilleur argument de dédiabolisation que Marine Le Pen puisse trouver car à côté de Zemmour, n’importe qui passe pour un modéré.” Marine Le Pen pourra en plus profiter à fond du réservoir de voix apporté par Eric Zemmour pour le second tour. 

Tout comme Chirac en 1995, Marine Le Pen a connu la trahison durant cette campagne lâchée par certaines personnalités de son mouvement qui ont préféré Eric Zemmour et Reconquête comme Nicolas Bay, Gilbert Collard sans oublier bien sûr sa nièce Marion Maréchal. 

Lâché par nombre des siens comme Chirac en 1995

Les Guignols de l’info en 1995 présentaient Jacques Chirac le dos bardé de poignards plantés par les Balladuriens. Marine Le Pen a connu la même chose pour cette élection présidentielle de 2022. 

Des défections, des abandons, des trahisons qui ont contribué finalement à adoucir son image, à humaniser sa personnalité. Elle semble plus sincère, plus souple moins dure, sectaire et clivante dans ses propos. Avec cette campagne apaisée, elle progresse sans faire de bruit et ne constitue plus aux yeux de l’opinion un danger pour la République et la démocratie. 

Avec cette présidentielle, Marine Le Pen est passée de la dédiabolisation à la présidentialisation. Avec le slogan “Femme d’Etat”, la candidate du Rassemblement national entend se montrer présidentiable. Sur son affiche de campagne, son nom de famille est même retiré, un effacement réfléchi bien entendu. 

Le candidat du RPR en 1995 se présentait comme un sympathique “mangeur de pommes” et voulait de cette manière créer un contact direct avec les Français tout en insistant de cette manière sur le côté très bourgeois d’Edouard Balladur.

Même stratégie pour Marine Le Pen en 2022. 

Elle se présente comme une passionnée de chats et de jardinage au sourire bienveillant et à l’écoute. Elle veut de cette manière être en parfaite opposition avec un Président sortant “des riches” qui serait éloigné des préoccupations quotidiennes des Français. 

Une simplicité dans la campagne jusqu’au choix des meetings. Est-ce pour des raisons budgétaires ou pour sa stratégie de campagne, Marine Le Pen a en tout cas évité les grandes salles contrairement au Président sortant. Pour cette fin de campagne, une tâche complexe attend la candidate RN, si elle veut gagner, elle doit persuader les indécis, convaincre les abstentionnistes, rassurer l’opinion et continuer à faire passer le message qu’elle n’est pas une menace pour la République. 

Conclusion :

La troisième campagne sera t-elle la bonne pour la candidate RN ? L’Histoire politique hexagonale récente démontre qu’il faut toujours se méfier de l’outsider trahi par une grande partie des siens. 

Rappelons qu’au premier tour, le 23 avril 1995 avec 20,2 % des voix, Jacques Chirac devance de deux points son frère ennemi, “son ami de trente ans” Edouard Balladur. Jacques Chirac gagnera le second tour contre le candidat PS, Lionel Jospin avec 52,6 %. 

Marine Le Pen connaitra t-elle la même aventure ? En tout cas à l’heure où j’écris ces lignes la quinquagénaire est créditée de 47 % des intentions de votes au second tour face à Emmanuel Macron à 53 %. Un score qui n’a jamais été aussi élevé pour la candidate d’extrême droite !