Faut-il être millionnaire pour jouer les premiers rôles en politique ?

Par Aurélien PAGE , le 13 mars 2022 , mis à jour le 3 avril 2022 - 14 minutes de lecture
La démocratie française doit se réinventer avec une meilleure représentation des couches populaires notamment.
Sport, Médias, Droit, Politique, Histoire, Numérique, Politique ... Oui, les sujets de mes écrits seront riches et variés. J'ai espoir qu'ils susciteront le débat.

Les principaux candidats à l’élection présidentielle 2022 sont tous millionnaires.

1,2 million de patrimoine pour Marine Le Pen, 4,2 millions pour Eric Zemmour et 9,7 millions pour Valérie Pécresse. À côté le patrimoine d’Emmanuel Macron d’environ un demi-million fait pâle figure.

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a en effet mis en ligne les déclarations de patrimoine et d’intérêts des candidats à l’élection présidentielle 2022. Une première en vertu de la loi de moralisation de la vie publique de 2017.

Chaque candidat a dû renseigner les informations concernant leurs biens immobiliers, leurs voitures, leurs comptes bancaires, leurs participations dans le capital de sociétés, leurs dettes éventuelles et leurs activités professionnelles des cinq dernières années.

Une aisance en matière de patrimoine des principaux candidats à la Présidentielle qui interroge.

Doit-on être aisé(e) financièrement pour prétendre occuper un poste de premier plan en politique ? Et même être millionnaire pour être un candidat qui a des chances de l’emporter à l’élection suprême ?

Si oui, cela n’explique-t-il pas une certaine crise de la représentation qui a abouti notamment à la crise des gilets jaunes et à la montée des partis d’extrême droite ?

Qu’en est-il des citoyens qui souhaitent s’engager, se porter candidats à une élection sans en avoir les moyens financiers ? N’est-ce pas à l’Etat de garantir l’accès aux financements ?

Cinq ans ont passé et je peux l’avouer sans honte désormais !

J’étais au RSA de novembre 2016 à mai 2017 alors que je faisais campagne pour le “banquier d’affaires Macron”.

J’étais alors référent départemental de la Mayenne, en clair la représentation du candidat dans le département et en charge de mener à bien les actions pour promouvoir sa parole.

J’ai eu l’impression tout au long de la campagne d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

J’ai eu peur que mon statut peu enviable ne soit démasqué par la presse, les militants, mes collègues de campagne alors que je suis certain que les barons locaux le savaient.

Je rappelle que le versement du RSA étant une des compétences du conseil départemental.

Cela a eu un impact certain dans mon rôle, ma fonction, mes actions tout au long de la campagne présidentielle.

En effet, comment réussir à mener une campagne présidentielle de front et en même temps tout faire pour se réinsérer socialement ?

Alors je pose la question, se lancer en politique, prétendre y jouer les premiers rôles ne serait-il qu’un luxe que seuls certains pourraient s’offrir ?

Faut-il être avocat, cadre, chef(fe) d’entreprise ou être un(e) professionnel (le) de la politique pour être tête d’affiche ? Les catégories populaires ne sont-elles pas condamnées à ne jouer que les petites mains ?

N’est-ce pas à l’Etat de mettre en place une “institution bancaire démocratique” ou une “banque démocratique” qui permettrait à chacune et à chacun désireux de se porter candidat d’avoir le financement, l’avance suffisante pour oser se lancer dans la bataille politique ?

Permettre aux couches sociales les plus modestes de retrouver de l’ambition politique

Nous assistons dans les démocraties occidentales à commencer par la France à une indifférence croissante à la vie politique comme en témoignent les records d’abstention des dernières élections.

Nous parlons à ce propos de dépolitisation de l’existence.

Parmi les raisons de ce constat, Alexis de Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique, soulignait que la “démocratie conduit les citoyens à l’individualisme, c’est-à-dire à une attitude de repli de l’existence vers la sphère privée au détriment de l’investissement public”.

Mais il y a une autre raison plus préjudiciable à la vie démocratique.

Une démocratie française dominée par une caste de privilégiés

La démocratie, le pouvoir du peuple caractérisé par la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) chère à Montesquieu et par son caractère représentatif au suffrage universel est devenue l’apanage d’une caste, d’une classe, d’une élite privilégiée qui constitue une véritable oligarchie.

La démocratie française de la Vème République ne serait-elle devenue qu’un ensemble de conciliabules de quelques notables et de barons qui défendent les mêmes intérêts ? Or la démocratie repose théoriquement sur le principe de la vertu politique.

Je vais être taxé de “populiste primaire” en affirmant que “trop d’élus ont préféré ces dernières décennies leur intérêt personnel au bien commun” et il serait en effet idiot de généraliser. De nombreux élus font un travail remarquable.

Mais je n’invente rien en disant qu’aujourd’hui le lien est de plus en plus distant entre les citoyens moteurs de la démocratie et leurs représentants. Certains élus choisissent la politique non pas pour servir l’intérêt général mais bien pour des raisons narcissiques, ils ne veulent qu’une chose appartenir à une élite.

Aucun parti ne fait exception, cela renvoie à la nature humaine.

La démocratie française a ainsi besoin d’un second souffle

Jürgen Habermas a reconnu un rôle fondamental à la discussion publique des citoyens comme conditions de la vie démocratique. Les grands débats lancés par le Président Macron et la convention citoyenne pour le climat allaient dans ce sens. Mais les initiatives du Président de la République ont alimenté la même frustration chez les participants.

J’avais vécu la même chose en prenant part à la grande marche du mouvement En Marche de 2016 lancée par Emmanuel Macron.

La promesse de base était de co-construire ensemble le futur programme du candidat. Il n’en fut rien !

Le futur Président jupitérien a élaboré son programme avec l’aide de quelques experts. Pendant ce temps, le terrain, la base, “la multitude” des marcheurs n’a pas été écoutée.

Les promesses de départ de ce genre d’initiatives sont belles mais la réalité réelle est tout autre et contribue hélas à alimenter une nouvelle fois le discrédit des citoyens envers la politique et leurs représentants.

Des milieux populaires quasi absents de l’Assemblée nationale

Savez-vous par exemple que l’Assemblée nationale ne compte quasiment plus de représentants des milieux populaires.

La démocratie française peine à se réinventer avec une distance de plus en plus marquée entre les citoyens et leurs représentants.

Une certaine bourgeoisie d’affaire et intellectuelle a toujours été aux manettes de notre démocratie française. Les élections législatives de 2017 n’ont pas changé la donne.

Le renouvellement politique de juin 2017 à l’Assemblée nationale a entraîné une augmentation de la part des femmes parmi les élus mais il ne s’est pas accompagné d’un renouvellement social.

Parmi les 577 députés, 180 sont des cadres (31%), 103 occupent une profession libérale (18 %), 130 sont fonctionnaires (22,5 %).

Si 21 députés sont des employés contre 8 en 2012, seulement un ouvrier et un étudiant ont été élus en 2017.

Les classes supérieures sont encore plus représentées qu’en 2012. Le nombre de cadre a augmenté de 8 % aux élections de 2017, la part des professions libérales grimpe de 5 %, celle des fonctionnaires reste stable.

Les catégories populaires (ouvriers et employés) représentaient un peu moins de 20 % des députés lors de la première législature (1946-1951) de la IVème République.

Un chiffre relativement bas mais qui demeure la représentation la plus forte depuis la création de l’Assemblée nationale jusqu’à aujourd’hui.

Depuis, cette représentation n’a eu de cesse que de se réduire.

Le constat est sans appel, il est bien difficile d’accéder à l’Assemblée nationale quand on vient d’un milieu populaire.

En effet, un ouvrier, un employé peut-il avancer 30 000 € (coût en moyenne d’une campagne législative) et attendre un remboursement de l’Etat 18 mois après les élections. Encore faut-il que ce candidat ou cette candidate soit parvenu à dépasser les 5%.

Un manque de représentation des couches sociales les plus modestes de notre pays, une terrible inégalité qui ne semble choquer personne alors que c’est préjudiciable à la vie démocratique de notre pays.

Nous avons parlé des législatives mais c’est la même chose pour les municipales.

En 2008, 10 % d’ouvriers seulement parmi les conseillers municipaux des communes de moins de 500 habitants, moins de 1 % pour celles de plus de 100 000 habitants.

Les maires des communes de plus de 30 000 habitants n’étaient plus avant 2014 que 2,4 % à avoir été précédemment ouvriers ou employés du secteur public.

Une appartenance de nos élus aux classes sociales supérieures qui interroge sur leur réelle sensibilité aux problèmes qui touchent les plus modestes d’entre nous comme l’urgence des fins de mois et le désir de reconnaissance.

Une impression de ne plus être écoutée et représentée

Cela explique que les catégories populaires aient choisi de s’abstenir ou bien de voter pour les partis d’extrême droite plutôt que le vote pour les partis de gauche à commencer par le PS, un parti qui n’a eu de cesse de s’éloigner de sa base, des couches populaires depuis plus de 30 ans.

Résultat, 69 % des ouvriers se sont abstenus au second tour des législatives contre 50 % des cadres.

Guillaume Petit, directeur du département Opinion de l’Institut Ipsos d’expliquer alors que “les catégories sociales les plus élevées se sont aussi davantage mobilisées car elles s’intéressent plus fortement à la politique.”

Il est donc indispensable à la démocratie française de se renouveler et de s’ouvrir à d’autres couches sociales de la société pour que chacune et chacun ait réellement l’impression d’être représenté(e).

Un mode de scrutin plus proportionnel et une assemblée de citoyens tirés au sort

Même si dans cet article, nous parlons d’accès aux financements ouverts à tous ceux qui veulent s’engager, il est bon de rappeler qu’un mode de scrutin plus proportionnel aux législatives permettrait d’avoir des députés plus représentatifs de la société.

Citons ici également la proposition du professeur de droit public, Dominique Rousseau qui appelle au remplacement du Conseil économique social et environnemental (CESE) par une assemblée de citoyens tirés au sort. 

L’Etat devrait garantir l’accès aux financements aux partis politiques et avec eux aux citoyens qui désirent être candidat(e) à une élection

Le budget d’une campagne reste décisif pour gagner une élection encore plus pour la course à l’Elysée.

Comme le souligne l’économiste Julia Cagé dans son ouvrage, le prix de la démocratie (éditions Fayard 2018), “l’argent dépensé par un candidat a un impact direct sur le nombre de voix qu’il l’obtient.”

Ainsi pour gagner une élection, le patrimoine du candidat va jouer un grand rôle surtout s’il ne peut pas s’appuyer sur un grand parti.

Emmanuel Macron a dû par exemple s’engager sur son patrimoine personnel pour obtenir un prêt auprès d’établissements bancaires pour l’élection présidentielle de 2017. Heureusement pour lui, il possédait un patrimoine important de son passage en tant que banquier d’affaires. Qu’en est-il pour les petits candidats ?

Les cinq principaux candidats en 2017 dépassaient les 10 millions d’euros par tête

Emmanuel Macron était le plus dépensier avec un budget total de plus de 16,6 millions d’euros suivi par Benoît Hamon, François Fillon et Marine Le Pen. Jean Lassalle fermait la marche avec 260 112 euros de dépenses de campagne.

Les candidats ont tout intérêt à dépenser à tout va pour s’assurer d’arriver en tête. Rappelons qu’en France, les dépenses électorales sont limitées par la loi depuis 1988. Rappelons que les candidats qui atteignent les 5 % des voix au premier tour, l’Etat leur rembourse jusqu’à 47,5 % de leurs dépenses.

Nous parlons ici de l’élection suprême mais qu’en est-il des élections locales ? Les candidats sans étiquette doivent disposer de plusieurs milliers d’euros pour se lancer dans une campagne or une nouvelle fois les personnes les plus modestes de notre pays n’ont pas cet argent en trésorerie ou en patrimoine pour se lancer dans le combat politique.

C’est pourtant indispensable pour la vie démocratique que ces personnes puissent se porter candidat et finalement gagner l’élection.

Les catégories populaires ne seraient-elles bonnes qu’à distribuer des tracts sur les marchés ?

Ne peuvent-elles pas jouer les premiers rôles, les premiers de cordée de notre vie politique ?

De mon point de vue, c’est à l’Etat d’assurer une même égalité des chances à tous les Français qui désirent s’engager dans le combat politique.

Il faudrait un accès égalitaire aux financements et une formation identique de haut niveau à la citoyenneté et à la vie politique pour assurer à toutes les couches sociales de notre société d’être représentées dans tous les hémicycles de notre pays.

La banque de la démocratie n’a pas encore vu le jour

Rappelons que la banque de la démocratie proposée par François Bayrou n’a jamais vu le jour alors que c’était une des conditions du maire de Pau pour rejoindre la Macronie.

Elle avait pour but de financer les partis notamment les plus petits d’entre eux pour éviter que la vie politique ne soit rythmée par le bon vouloir des établissements privés.

D’autant plus que les banques se montrent de plus en plus frileuses à effectuer des prêts. « Notre politique de crédit est de ne plus prêter aux partis politiques », expliquait Frédéric Oudéa, le PDG de la Société Générale en 2014.

La banque de la démocratie serait ainsi “un progrès démocratique majeur”, comme l’affirme François Bayrou.

Conclusion :

La démocratie française doit se réinventer.

Parce-que les milieux populaires sont quasi absents de l’Assemblée nationale et des hémicycles dans l’hexagone, la démocratie française se résume à un ensemble de conciliabules de quelques notables et barons qui défendent les mêmes intérêts.

A croire que les catégories populaires ne sont là que pour jouer les petites mains durant les élections. Il est interdit pour les ouvriers et les employés de prétendre jouer les premiers rôles qui appartiennent qu’aux cadres, dirigeants d’entreprises, professions libérales ou encore aux professionnels de la politique.

Or si nous voulons apporter un nouveau souffle à la démocratie française, il est impératif que les couches les plus modestes soient représentées dans les hémicycles de notre pays.

Elles doivent retrouver le goût de l’ambition politique. De mon point de vue, c’est à l’Etat d’assurer une même égalité des chances à tous les Français qui désirent s’engager dans le combat politique par un accès égalitaire aux financements et en leur proposant une formation de haut niveau à la citoyenneté et à la vie politique pour susciter des vocations.

En attendant, nous nous dirigeons vers une abstention record au premier tour de l’élection présidentielle de toute l’histoire de la Vème République.

Un sondage Odoxa-Backbone Consulting pour le Figaro révèle que près de trois Français sur dix prévoient de s’abstenir. Pour notre élite politique, il est urgent de réagir, encore faut-il quelle est vraiment un intérêt à agir ?

Vous souhaitez débattre sur un des sujets de mes écrits ? Vous êtes en désaccord ou vous partager mon point de vue ? N'hésitez-pas à me contacter pour me permettre d'approfondir mes réflexions.

Aurélien PAGE

Formé au journalisme, je suis rédacteur web en freelance et en entreprise depuis plusieurs années. J'ai été amené à écrire sur des sujets variés (Tourisme, Sports, Droit, Média, Développement personnel, Finance, Emploi, Formation...). Je me suis également formé au copywriting et depuis deux, trois ans je me concentre sur le SEO.

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